De rachisme en zwastika, tout un procès russe

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Voici à quoi tient, pour l’essentiel, le mode opératoire du fascisme :

  • attentats à la vie et installation de potentats à vie
  • règne de la terreur et culte de la personnalité
  • doctrines militaristes et passéistes
  • incompatibilité de l’État et de la liberté de presse
  • diversion stratégique et obfuscation des désastres économiques
  • corruption et « mafiosité » 
  • paternalisme et patriarcat
  • appels à la dénonciation et à la délation
  • propagande et désinformation
  • guerres d’expansion et perpétration de crimes de guerre

Cela dit, depuis le 24 février 2022, du choc des armes en Ukraine est aussi né celui des mots.

On entend de plus en plus fort les néologismes rachisme et rachiste, mots-valises formés à partir de russe et fascisme (ou russe et fasciste). Ils s’inscrivent dans le sillage de campagnes impériales menées par la Russie en Tchétchénie, en Géorgie, en Ossétie du Sud et en Ukraine.

Le fascisme produit un régime abrupt imposé par des brutes qui font la fête au faîte de l’État.

À la clé, des séries d’attentats à la vie, laissant place à des potentats à vie, des politiciens à qui d’inscrutables scrutins confèrent de 95 à 100 pour cent du vote officiel; vote à ficelles, comme dirait Sol.

Sous la houlette du fascisme, le Parlement devient simulacre de démocratie. C’est pourquoi, à la Douma russe, les députés font le dos rond. Ils craignent pour leur bifteck… ou leur peau. Les opposants politiques, le cas Trotsky notamment, nous prouvent que doléances et condoléances ne sont pas que des rimes.

Il en est de même pour les adversaires de Poutine, comme Alexeï Navalny. On connaît la litanie de politiciens, militaires, oligarques et journalistes russes empoisonnés, emprisonnés, défenestrés, désavoués, grenadés, désavionnisés – dont « feu » Evgueni Prigojine, le cuistot wagnérien.

Le fascisme se caractérise par la terreur et le culte de la personnalité. Témoin, le comportement cocasse (hors Caucase) des militaires de Kim Jong-un, eux dont la fidélité se jugera à l’aune des sourires et au tonnerre des applaudissements offerts à leur grassouillet leader. Idem pour les députés dépités, décidés à ne pas se faire décapiter. Décapants.

Elle est ubuesque, l’obséquiosité aux pieds des hommes forts, ces tyrans dont le nom de scène semble si bucolique : el Caudillo, il Duce, der Führer, le petit père des peuples, al Raïs, el Conducator, Papa Doc, le Shahanshah, l’Ayatollah, etc.

C’est désormais au tour de Vladimir Poutine et Kim Jong-un de faire des leurs, avec des mises en scène tout aussi folkloriques. Qui n’a pas remarqué l’interminable table de conférence à laquelle Poutine assiéra et assiègera un chef d’État pour un tête-à-tête à six mètres de distance afin de le désarçonner. Une rencontre au sommet, celui de l’intimidation. Il s’agit, soutient-on, d’une distanciation Covid… Par contre, si l’invité est un pote chinois ou nord-coréen, les services russes n’exigeront aucun test de dépistage moscovite avec prélèvement d’ADN. Condition qu’ils auront tenté d’imposer, en vain, au président français comme au chancelier allemand…

Notre Poutine national exhibera devant les caméras ses pectoraux de judoka pour offrir l’image du mâle dominant à un public cynique qui feint d’y croire encore.

Ce mâle reste un moindre mal aux yeux d’un électorat sans illusions qui, faute de pratique, abhorre la démocratie et les inconnus qu’elle entraîne. À quoi bon voir alterner le pouvoir et les leaders quand celui-ci comme ceux-là se valent tous? Pourquoi contester l’ordre établi? Vive le pouvoir à vie. Après tout, quiconque s’intéresse à la contestation court après les coups.

Le fascisme repose sur un passéisme militariste. En Russie, le pouvoir s’est doté de dizaines de milliers de mercenaires portant la sibylline appellation de Wagner – compositeur dont les marches viriles furent adoptées par le IIIReich pour « culter » le nazi et occulter la vie.

Or, c’est cette même troupe de Wagner qui se dit aujourd’hui le fer de lance dans la lutte contre le « nazisme ukrainien », dans une Ukraine pourtant dirigée par un juif.  

Le monde à l’envers. L’arroseur arrosé, à l’eau de rose.

D’où un autre néologisme. Tanks à faire, sur le champ de bataille, les Ukrainiens nomment Zwastika le « Z » tracé en guise de cocarde sur les blindés russes. Ce mot aura été bien galvaudé au fil (d’épée) de l’Histoire : terme religieux d’abord, nazi ensuite, et antirachiste aujourd’hui.

Fascisme et liberté de presse ne coexistent pas. Alerte! L’emploi du vocable guerre ne plaît guère aux maîtres du Kremlin. Un citoyen ou journaliste qui utiliserait ce mot plutôt que la poétique Opération spéciale est passible, spasiba tovaritch, d’une lourde amende, voire d’une peine de prison. Freedom of Depress…

Autres caractéristiques propres aux fachos fâchés, les difficultés économiques puis les diversions créées pour les faire oublier. La solution au problème est simple : lancer une guéguerre, comme l’avait fait le président argentin Leopoldo Galtieri en s’emparant des Malouines (les Falklands-Malvinas) en 1982, histoire de faire oublier une énième inflation galopante et ainsi changer le mal de place. Or, dans les faits, c’est plutôt l’Histoire qui aura entraîné un changement de place, les Argentins ayant été boutés hors de l’archipel, et leur déroute suivie de près par la démission du général Galtieri. C’est le genre de diversion dont Poutine est friand, dans ses élans de camaraderie stalinienne aux quatre coins de l’ex-URSS.

Qui dit fascisme dit corruption et « mafiosité ». Il est connu que Poutine est un camarade cossu, amateur de datchas et de gros comptes en banque. Si, très machistement, il emprunte parfois la place du chauffeur dans sa voiture officielle, cela permet à une gogauche occidentale de s’émerveiller, en voyant en lui l’exemple même de la simplicité, de la bonhommie et de la bonne conduite. Là, da!

À la télé, ce parangon de vertu ira tancer publiquement ses ministres lorsque ceux-ci, penauds sur le plateau, ne trouvent plus gré à ses yeux. Nous avons alors droit à un festival patriarcal de pantalonnade et de déculottage.

On se souvient que, au cours de la Deuxième Guerre, provoquée conjointement par Berlin et Moscou(les deux envahisseurs de la Pologne en septembre 1939), l’URSS allait perdre 25 millions d’hommes après le retournement du Reich contre elle.

Ce qui n’empêchera pas Staline de goulaguiser et de supprimer 25 autres millions de Soviétiques dès la fin du conflit. La dénonciation et la délation étaient alors encouragées. En URSS, il était normal d’arrêter un voisin accusé de déviance pour avoir osé enrouler un sandwich dans du papier journal portant la photo d’un membre de la Nomenklatura

Après l’Insurrection de Budapest en 1956, la Crise des missiles de Cuba en 1962, l’écrasement du Printemps de Prague en 1968, la chute du Mur de Berlin en 1989, on croyait cette époque révolue. Nous voici pourtant au cœur d’une Deuxième Guerre froide. Propagande et désinformation aidant, l’OTAN sera même accusée d’avoir causé la guerre en Ukraine, comme si c’était l’alliance Atlantique qui avait envahi un de ses voisins.

Aujourd’hui, Poutine est déclaré persona non grata dans de nombreux pays. Accusé de crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale, il fait face à un mandat d’arrêt pour la déportation de centaines d’enfants orphelinisés par ses bombardements des centres urbains. Ces jeunes ont été déplacés, autrement dit placés dans des familles d’accueil qui les russifient, crucifient serait un meilleur mot, au nom d’un panslavisme dévoyé… On les adopte après les avoir adaptés. On tue leur famille pour leur en donner une autre.

Pas grave. La Russie n’ayant pas reconnu la compétence du tribunal international, elle n’a jamais ratifié le Statut de Rome, qui en constitue le texte fondateur. Elle s’inquiètera donc, en septembre 2023, de voir l’Arménie le ratifier, comme si la décision de cet État souverain pouvait la concerner.

Moscou pratique le fascisme à la sauce Poutine. À l’arrivée au pouvoir de notre kagébiste, la presse internationale s’était inquiétée des exactions à venir du nouveau Kremlin. Les premières années de règne constituèrent cependant une lune de miel. La suite, nous la subissons maintenant en spectateurs, tandis que les Ukrainiens dégustent, aux premières loges.

On mesure la portée des néologismes rachisme et rachiste, et de leurs équivalents anglais Ruscism, Rashism et Russism, dans un pays qui n’a jamais connu la démocratie, passant de la botte des tsars, à celle des Soviets, à celle du Reich puis à celle de Poutine.

L’heure semble être aux populistes de tous poils. Ceux de Russie, mais également ceux de Hongrie, de Grèce, d’Italie et, potentiellement, de France et des États-Unis.

Doit-on craindre le retour en selle de Donald Trump? L’ex-locataire de la Maison-Blanche est un fervent supporter de Poutine. À Singapour, en 2018, il se dit, par ailleurs, et pas railleur, honoré d’avoir rencontré le sordide Kim Jong-un. Ah, l’amour des hommes forts. Rappelons que, le 6 janvier 2021, Trump incitera au lynchage de son propre vice-président, Mike Pence. Il rebelotera, fin septembre 2023, en demandant que le général Mark Milley, qui fut son chef d’état-major, soit fusillé pour trahison.

Achtung, Amis! Espérons ne pas voir le terme Uscisme (ou UScisme), pour désigner un néofascisme mijoté cette fois à la sauce Donald. Iznogoud!

Chronique de Carlos del Burgo, terminologue agréé et traducteur agréé

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