Dans un balado de France Culture diffusé le 27 décembre dernier, les philosophes Barbara Cassin et Souleymane Bachir Diagne évoquent entre autres la nouvelle édition du Dictionnaire des intraduisibles.
En 2004, 150 chercheurs des domaines linguistique et philosophique ont été dirigés par la philosophe et académicienne Barbara Cassin pour la création du Vocabulaire européen des philosophies. Son édition augmentée, le Dictionnaire des intraduisibles, a été traduite dans une dizaine de langues. Cet ouvrage constitue une cartographie des différences philosophiques européennes et explore le lien entre fait de langue et fait de pensée.
La philosophie aussi parle en langues
La finalité de ce dictionnaire est « d’arriver à comprendre un petit quelque chose de la différence des langues, explique Barbara Cassin au micro de France Culture. C’est un dictionnaire de symptômes. Curieusement, on pourrait croire que le vrai intraduisible, c’est la poésie. Mais la philosophie aussi parle en langues. J’ai voulu montrer qu’il y avait des langues, et pas une seule langue, de la philosophie. Toutes les langues sont des langues de philosophie. La traduction est un savoir-faire avec les différences. En s’intéressant aux différences, on se ‘déterritorialise’, on se voit depuis ailleurs, et on se voit soi-même autrement. »
La traduction apporte une valeur philosophique
« Chaque langue est en quelque sorte une vision du monde, ajoute-t-elle. On appelle cela l’hypothèse de Sapir-Whorf. On trouve cette comparaison magnifique qui consiste à dire que chaque langue est comme un filet qu’on jette sur le monde. On rapporte d’autres poissons si on jette un filet différent, avec des mailles plus grandes, à un autre endroit du monde. Néanmoins, il y a quelque chose comme la mer pour tous, c’est-à-dire un monde commun. Il est compliqué de comprendre que le monde commun n’est peut-être pas premier, mais qu’il est peut-être un résultat, une fiction vers laquelle on se dirige. »
Selon Souleymane Bachir Diagne, qui a aussi participé au Dictionnaire des intraduisibles, la traduction « devient un important paradigme philosophique s’inscrivant dans celui des intraduisibles tel qu’il a été ouvert par le travail de Barbara [Cassin]. » Car en traduisant un problème philosophique, en le décentrant, en le regardant sous un autre angle, la traduction apporte une valeur philosophique indéniable.
« J’avais deux ennemis [en travaillant sur le Dictionnaire], poursuit Barbara Cassin : le nationalisme ontologique [celui d’Heidegger] et le globish, global English, qui écrase toutes les différences dans une non-langue, dans une langue qui finalement est une pensée unique. »
Source : France Culture
Photo : Site de l’Académie française / Barbara Cassin
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